Nouveaux modèles économiques : la fonction achats devient architecte de la résilience
De l’économie circulaire à la collaboration : mutation accélérée
La transition vers une politique d’achat circulaire n’est plus l’apanage des biens de grande consommation. Unilever a déjà réduit l’usage de plastique vierge de près d’un quart, et la marque ambitionne encore un tiers supplémentaire d’ici 2026 (Unilever), créant un signal-prix fort sur les résines recyclées. Dans l’industrie lourde, Michelin commercialise désormais un pneu composé presque à moitié de matériaux durables et vise une généralisation totale à l’horizon 2050 (Michelin) ; cette dynamique illustre la relation vertueuse entre innovation produit et sécurisation matière. Dans les deux cas, l’acheteur se positionne au meilleur niveau de la chaîne de valeur, tirant parti de son pouvoir de négociation pour instaurer, avec chaque fournisseur, des boucles fermées de valorisation.
Notre expertise Ginesis :
Nos consultants articulent scénarios ESG et modèles cash-flow pour bâtir une stratégie circulaire qui met la durabilité au centre et replace l’acheteur à la place de chef d’orchestre d’un écosystème ensemble, première étape vers une chaîne de valeur réellement régénérative.
Pression inflationniste et tensions logistiques persistantes
L’inflation annuelle de la zone euro est restée autour de deux points au printemps 2025 : assez élevée pour rogner la marge si la gestion des achats demeure focalisée sur le prix spot (European Commission).
Parallèlement, l’indice de tension logistique est revenu à un niveau jugé « quasi normal », mais les pics ponctuels liés aux rebonds pétroliers montrent combien la chaîne reste sensible aux chocs géopolitiques (Reuters, newyorkfed.org).
Dans ce contexte, chaque entreprise formalise pour chaque catégorie d’achat un plan d’action combinant couverture matière, multisourcing et constitution de stocks tampons — autant de leviers destinés à protéger les dépenses et à fiabiliser les prévisions de trésorerie ; la première étape étant la cartographie fine des flux, basée sur la donnée interne et marché.
CSRD, CSDDD : la conformité devient un KPI
La directive CSRD transforme le risque fournisseur en donnée financière incontournable. Les DAF doivent désormais démontrer l’alignement des dépenses avec la taxonomie européenne et prouver, pour chaque processus d’achat, la vigilance ESG.
Schneider Electric déploie ainsi un programme global de réduction d’émissions avec ses partenaires : l’acheteur devient opérateur d’un service climatique, confirmant la nouvelle place stratégique de la fonction achats au sein de l’entreprise à chaque étape du cycle Source-to-Contract (Schneider Electric).
KPI achats : passer du prix unitaire au capital stratégique
Trois indicateurs différenciateurs
| KPI stratégique | Objectif | Impact sur la performance des achats |
| TCO par catégorie | Inclure CAPEX, OPEX, CO₂ et risque | Aligne décisions make-or-buy, dépenses globales et réalisera des économies mesurables |
| Indice de résilience fournisseur | Pondérer lead time, diversification, notation ESG | Réduit le risque fournisseur, sécurise le cash-flow et renforce la relation partenaire |
| Score de circularité | Part de matière secondaire | Soutient les objectifs CSRD et les achats responsables |
Selon le Deloitte CPO Survey 2024, 89 % des directeurs achats citent l’inflation parmi leurs trois premiers risques, et seuls 25 % disposent d’analyses prédictives fiables des ruptures d’approvisionnement (Deloitte United States).
Du tableau de bord à l’allocation de capital
Quand les KPI s’intègrent au data-warehouse finance, le DAF peut arbitrer en temps réel entre décote d’escompte dynamique, couverture matière ou report de CAPEX.
Dans la banque-assurance, BNP Paribas Cardif utilise des modèles prédictifs capables d’automatiser la quasi-totalité des demandes à faible valeur, libérant 140 k heures-équivalent pour l’analyse de marges ; le même moteur, appliqué aux achats IT, anticipe des surcoûts fournisseurs et alimente la revue de marge. (BNP Paribas Cardif)
La politique d’achat devient ainsi un instrument de pilotage du BFR, du ROCE et de la résilience ESG, consolidé dans un cockpit unique finance-achats, tout en apportant une visibilité ESG consolidée à l’entreprise.
E-procurement : l’achat augmenté par la data et l’IA
Automatisation & RPA : le nouvel étalon de productivité
Les organisations « Digital World Class® » opèrent avec 21 % de coût en moins et traitent 76 % de commandes supplémentaires par EDI, tout en étant 1,7 fois plus perçues comme partenaires stratégiques (The Hackett Group®). Ces gains repositionnent la gestion des achats comme créatrice de valeur, non comme centre de coût. De fait, la stratégie achats peut se concentrer sur l’optimisation des dépenses indirectes, traditionnellement les moins maîtrisées.
Comparaison sectorielle : Dans l’aéronautique, l’e-procurement réduit drastiquement les cycles de réapprovisionnement ; dans la distribution, il permet de gérer d’un seul clic des milliers d’articles catalogue. Deux secteurs, une même solution, un même objectif : sécuriser la performance tout en améliorant la relation avec chaque fournisseur.
IA prédictive & Gen AI : piloter avant la rupture
La Gen AI promet un gain de productivité de 54 % et une réduction de coûts de 47 % pour les fonctions achats. (Yahoo Finance)
Plutôt que de compter les avertisseurs rouges, l’IA permet de sentir la fumée avant l’incendie. Les algorithmes croisent historique prix, indicateurs matières, météo logistique et données ESG ; dès qu’un signal faible menace la marge, l’acheteur reçoit une alerte contextualisée. L’entreprise dispose alors d’une étape d’avance pour ré-arbitrer ses dépenses et ajuster ses prix de transfert.
Intégration ERP–Finance : l’exemple Airbus-Taulia
Airbus a déployé le portail Taulia pour l’e-invoicing et le financement anticipé, connectant la chaîne Source-to-Pay à la trésorerie : 18 000 fournisseurs bénéficient d’options de paiement dynamique, et l’entreprise a réduit son poste « dettes fournisseurs » de 9 %.
Ce type d’e-procurement élimine le maverick spend, fiabilise la compliance TVA et relie la gestion des achats à la prévision de cash.
L’achat, moteur d’innovation et de création de valeur
Synergies achats-finance-RSE : un multiplicateur de marges
L’étude TEI Forrester pour Coupa chiffre à 1,4 pt la hausse de marge brute et à 276 % le ROI d’un programme Source-to-Pay unifié.
Dans les grands groupes du CAC 40, 95 % mentionnent désormais les achats responsables dans leur rapport RSE et 51 % se sont fixé des objectifs quantitatifs. (Orse)
Lorsqu’achats et finance co-animent la revue de marges, la valeur dégagée sur le P&L est instantanément visible et le plan d’action peut passer du cost-killing à l’optimisation du capital engagé.
Écosystèmes d’achat et collaboration inter-entreprises
Les consortiums sectoriels (ex. BoostAeroSpace, Clean Energy Buyers Alliance) illustrent comment mutualiser volumes, data CO₂ et innovations pour baisser le coût global et la complexité du marché. L’acheteur devient « chef d’orchestre » de partenariats amont – une évolution qui nécessite une stratégie achats performante, clairement retranscrite dans la feuille de route financière.
Conclusion : vers une stratégie achats créatrice de performance durable
Dans un contexte d’inflation contenue mais tenace de supply-chains encore vulnérables et de réglementation extra-financière exigeante, la direction achats se réinvente en centre de création de valeur. Adossée à un e-procurement mature, une politique d’achat axée TCO, résilience et circularité propulsent la performance des achats au rang de KPI financier à part entière — garant d’une compétitivité responsable et durable de l’entreprise.